Ruissellements
Eve George et Laurent Fichot ont débuté un travail de recherche autour de l’empreinte végétale en figeant dans des objets de haute facture soufflés en verre des fleurs et des feuilles ramassées aux abords de leur atelier en Côte d’Or. Cette recherche prend alors tout son sens non loin de là, au Château de Bussy-Rabutin, lorsqu’ils découvrent son jardin labellisé « remarquable » et ses espèces pourtant menacées par le réchauffement climatique. En capturant et sublimant les empreintes de ses plantes locales qui ont traversé le temps et les styles au fil des siècles, l’Atelier George raconte l’histoire du monument et de son jardin, tout en mettant en lumière leur fragilité face à la crise écologique.
Interview d’Eve George par Caroline Naphegyi, Membre du comité artistique Mondes nouveaux
C.N. «Votre projet mêle des traces de l’écosystème naturel présent aux alentours du Château de Bussy-Rabutin et le savoir-faire du verre soufflé. Pourquoi avoir choisi ce château ? Qu’est-ce que la présence de ces objets de verre apporte au paysage ?»
E.G. «Notre atelier de soufflage de verre et le site de Bussy Rabutin sont voisins, en Côte d’Or. Lorsque nous avons amorcé ce travail de recherche autour de l’empreinte végétale figée dans des objets de haute facture en verre soufflé, nous avons choisi des plantes et fleurs ramassées aux abords de l’atelier. Aboutir cette recherche dans une œuvre plus ambitieuse signifiait pour nous, d’avoir le contexte de raconter chacune des espèces végétales locales, leur provenance, leur cycle, les menaces qui pèsent sur elles.
Le jardin remarquable du Château de Bussy Rabutin a connu de nombreuses évolutions historiques, racontant aussi l’évolution du rapport humain aux écosystèmes environnants.
Au XVIIe siècle, le plan à la française et la terrasse du site hérite de l’appétence paysagère de Versailles. Au XIXe siècle, le comte de Sarcus, naturophile (son herbier est toujours conservé au Château), fait évoluer le parc dans un style anglais.
Aujourd’hui, les espèces qui composent ces espaces protégés, entretenus et tempérés, montre tout de même des signes de fragilité face au réchauffement climatique.
En les exposant dans les salles du Château, il s’agissait aussi de rendre tangible ces mouvements, peu perceptibles par les visiteurs occasionnels.»
Sublimation
Tout commence sur la terrasse, lors de notre première visite à l’automne.
Le ginkgo biloba au centre du labyrinthe est couvert de feuilles d’un jaune éclatant. Philippe le jardinier des lieux nous raconte : «on l’appelle l’arbre aux quarante écus, c’était son prix alors». C’est un arbre d’une extrême longévité, dont la résilience dépasse les plus grandes catastrophes humaines que le Terre ait connu.
Quarante écus de verre d’or
Perçus par l’eau qui dort.
Dans cet Achéron sans lit
Cette obole sera jetée,
Ode à ces vœux achetés.
Puisse-t-on acquérir ainsi
Les méandres perdus du temps,
Apprendre que la Terre comprend
Et pave une traversée,
Comme le voyage psychopompe
Du plus vieil arbre du monde.
Précipitation
Nous poursuivons notre exploration dans le parc. Sous les bois, un immense tronc est étendu au sol. «Il est tombé, on ne sait pas pourquoi», nous raconte notre guide.
Philippe poursuit : «on se croit assez protégé des effets du changement climatique ici. Pourtant on a de nombreux hêtres dans la région et pour cette espèce, +1°C signifie une migration de 100 km au Nord.»
Hêtre dans deux degrés
Migrant de mal être.
Deux cent kilomètres
Malgré la pleine de terre,
Contre son plein gré.
Freiner la course du frêne,
Ramasser ses feuilles mortes.
Figer de verre, rompre le charme.
Souvenir des jours heureux
Où l’automne sonnait la vie.
Évaporation
Au pied du Château, nous suivons le parcours de l’eau depuis la source, jusqu’au bassin ou elle se jette. Son cycle n’échappe pas aux bouleversements climatiques.
Lorsque nous découvrons l’herbier du Comte de Sarcus conservé au Château, nous choisissons le point culminant de la Tour qui porte à présent son nom, afin de clore cette boucle.
Grimpantes du bassin
De la terre à l’eau
Par l’air remontent la source,
Dévalent de l’âtre.
Cascade brûlante
De questions en suspend.
Exposition financée par le programme de soutien à la création artistique Mondes nouveaux mis en œuvre par le ministère de la Culture dans le cadre de France Relance, en collaboration avec le Centre des monuments nationaux.